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9 mai 2019 4 09 /05 /mai /2019 08:46
Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline

Lorsque nous avons quitté la région parisienne pour venir habiter Trouville-sur-Mer, mon mari travaillait encore et il n'était pas question pour lui de se consacrer au jardinage. Mais lorsqu'il a pris sa retraite, la vision affligeante de l'arrière de notre immeuble a commencé à le titiller. Et pourquoi, nous disions-nous, ne pas aménager cette colline couronnée d'arbres en un jardin à l'anglaise où arbustes et fleurs remplaceraient les ronces et les orties qui ne cessent de l'envahir ? Les copropriétaires ne voyaient aucune raison valable d'empêcher l'un des leurs de fleurir les lieux, à la seule condition que cela ne leur coûte pas un iota. C'était d'ailleurs ce que nous envisagions, les frais seraient à notre charge. C'est ainsi qu'Yves a pris goût à ce second violon d'Ingres : après la voile, le jardinage.

Débroussailler fut son premier souci. Il fallait rendre cette colline, penchée au-dessus de notre immeuble, plus attrayante, plus aimable, et se rappeler que, jadis, des poètes, peintres et écrivains s'étaient promenés en ces lieux et s'étaient inspiré de leur charme bucolique. Yves a donc peu à peu planté des  rhododendrons, des azalées, un seringa, un forsythia, un ajonc, un arbre à papillons, des camélias, des bruyères mauves et blanches, des pivoines, des giroflées, des capucines, des pensées, des pièris, des campanules, sans compter la jolie allée d'hortensias qui jette sa note de couleur de fin juin à fin août et les aubépiniers, lauriers, noisetiers qui nous séparent harmonieusement du manoir voisin, où Madame Straus, l'amie de Marcel Proust, l'a reçu en maintes occasions dans son jardin de roses.

Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline
Un printemps sur la colline

Désormais sous nos fenêtres, voilà un joli fouillis floral que les oiseaux n'ont pas tardé à investir pour en faire leur cour de récréation. Visiblement ils s'y plaisent autant que nous et nichent dans ce coin de verdure avec une évidente satisfaction.

Au tout début, il y eut les moineaux bavards et enjoués qui occupent les taillis et volettent en groupe  autour de notre demeure. Puis vinrent les mésanges charbonnières et les mésanges bleues tout aussi vives et primesautières qui ont pris d'assaut les trous d'arbres de la colline en guise de logement, enfin le merle dont le répertoire de vocalises, les variations mélodiques et les improvisations ne peuvent laisser aucune oreille indifférente. En cas de danger, il alerte les alentour en émettant des "poks, poks " très reconnaissables. C'est signe qu'il y a du rififi dans l'air. Les pies se sont bientôt jointes à eux, un couple surtout qui a bâti son nid au sommet d'un conifère, nid architecturé avec soin et embelli par des objets brillants car la pie cède volontiers au bling bling. N'oublions pas les pies-verts plutôt discrets et les ramiers à col blanc dont l'un d'eux, une certaine "Collerette", s'est imposé d'emblée comme la reine du territoire, se haussant volontiers du col et se déplaçant d'une démarche élégante et un rien précieuse. C'est un oiseau  sédentaire dont le vol lourd se charge de surprendre un chasseur embusqué et de détourner son tir car nous savons combien les palombes font les choux gras de nombreux gourmets ... Pour compléter le tableau, nous avons aussi un couple de tourterelles adorablement fines et gracieuses.

 

moineau

moineau

Collerette

Collerette

Une mésange charbonnière

Une mésange charbonnière

Dans cette cour de récréation animée, chacun a trouvé sa place et une bonne entente règne dans notre jardin. Il arrive parfois que notre petit écureuil Rocco vienne se joindre à la gente ailée et partage quelques graines avec elle. Son plus grand plaisir est d'user de la pelouse comme d'une salle de sport et d'exécuter, sous nos yeux admiratifs, une série de prouesses acrobatiques qui ne sont pas sans me rappeler celles de mon petit poisson Nautilius.
 

Lorsqu'Yves descend avec son sac de victuailles, l'ensemble des oiseaux est suspendu à ses gestes. On ne perçoit plus un ramage, un pépiement, mais derrière la feuillée les yeux sont braqués sur lui. "Allez à table les petits" ... dit-il à la cantonade. Les premiers à se lancer, audacieux de nature, sont les moineaux et les mésanges, suivis de près par les merles, les pies, Collerette et sa bande de copains, les tourterelles et le reste de la colonie. Rubis, notre adorable rouge-gorge et sa compagne, attendront que le calme soit revenu pour s'aventurer sur le terrain et satisfaire leur appétit. Car le rouge-gorge, considéré comme l'ami du jardinier, aime la solitude. L'agitation des moineaux lui altère l'humeur et il lui arrive de piquer une colère lorsque les bavardages incessants troublent sa tranquillité. Sa face, sa gorge et sa poitrine sont d'un beau rouge orangé bordé de gris sous le ventre et le front et ses yeux vifs d'un noir profond. Son chant mélodieux est ravissant. Il amorce ses trilles dès le levée du jour, à peine la chouette hulotte l'a-t-elle prévenu qu'elle partait se coucher et lui laissait le "champs" libre. Rubis se charge dès lors à réveiller la nature, à sortir de sa léthargie nocturne le monde des bois et des champs. Une lumière rose pose un éclat poudré sur le ciel et peu à peu la vie s'anime, les moineaux et les mésanges bavardent dans les ronciers, les ramiers lustrent leurs plumes, les insectes émettent un bourdonnement sourd et persistant. Le soir, face à la mer que l'on voit depuis l'autre façade de l'immeuble, il se plaira à célébrer les couchers de soleil spectaculaires de sa voix de ténor. Il est le représentant de la troisième génération de rouges-gorges depuis que mon mari s'est saisi de la bêche et du râteau. Son grand-père avait une voix stupéfiante. Rubis tient de lui la sienne qui est exceptionnelle par sa densité et sa diversité. Il gratifie Yves de son chant lorsque celui-ci travaille au jardin et lui tient compagnie des heures entières. Il arrive aussi qu'il nous suive en promenade et nous surprenne alors que nous ne n'y attendions pas, car il est malicieux.

Ainsi vivons-nous le printemps sur notre colline.

 

Armelle BARGUILLET

 

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Rubis sait où se trouve la réserve de graines et se fige devant la jardinerie pour rappeler à Yves qu'il est temps d'en distribuer.
Rubis sait où se trouve la réserve de graines et se fige devant la jardinerie pour rappeler à Yves qu'il est temps d'en distribuer.

Rubis sait où se trouve la réserve de graines et se fige devant la jardinerie pour rappeler à Yves qu'il est temps d'en distribuer.

Rocco saisi par l'objectif lors de ses chorégraphies.
Rocco saisi par l'objectif lors de ses chorégraphies.

Rocco saisi par l'objectif lors de ses chorégraphies.

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10 avril 2019 3 10 /04 /avril /2019 07:48
Philippe Vasseur ou le peintre face à sa propre énigme

 

L’étrange univers de Philippe Vasseur vous saisit dès l’abord tant l’artiste a su enclore le silence  de façon magistrale. Sa peinture, extrêmement architecturée, découpe la solitude et matérialise les paysages, voire même les personnages, comme si le monde venait d’être frappé d’une immobilité soudaine, comme si il y avait là, pris sur le vif, la vision  d'une  fin prochaine. Le visiteur est  immergé irrémédiablement dans ces structures figées et dans une forme d’attente inquiète. On peut ne pas aimer mais on ne peut pas ne pas être interpellé par ce peintre  qui  propose une facture très personnelle de son environnement, où ce qu'il présente, personnages ou monuments, semble s’être soudain immobilisé comme le fut Pompéi sous les braises incandescentes du volcan.  Ici, ce serait plutôt un événement intérieur qui a clos l’univers sur lui-même. Des lumières pâles et  froides, parfois des ocres intenses lors de la période marocaine, définissent les horizons avec, soudain, une lueur fragile  comme l’éclat d’une lumière très ancienne. On reste devant ce monde pétrifié comme  on le serait devant une forteresse  dont  l’entrée serait interdite. Il faut d’abord se concentrer et attendre qu’un détail vous ouvre la voie, que les personnages répondent à vos attentes et que le questionnement vous fasse entrevoir de nouvelles pistes car si le mystère est bien présent,  il n’est pas encore résolu. Enigmatique et désertique, les lieux opèrent une curieuse transition entre le réel et le supposé, recomposant une réalité qui a perdu ses repères et vous entraîne vers un monde métaphorique où l’inconscient reprend soudain ses droits.  La peinture de Philippe Vasseur, aussi dérangeante soit-elle, ne peut laisser aucun de nous indifférent. On la découvre et elle vous poursuit de ses paysages et visages sibyllins, de cette présence/absence qui n’est autre qu'une invitation au voyage dans les profondeurs les plus secrètes de l’humain.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

Exposition exceptionnelle au Musée Montebello de Trouville jusqu'au 19 mai.

 

Né en 1954 à Lisieux, Philippe Vasseur s'initie très tôt au dessin. En 1974, il suit les cours, de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Attiré par le graphisme, il débute sa carrière comme illustrateur pour les éditions Gallimard. Alors qu'il est encore étudiant, Gallimard se sert d'un de ses dessins pour la jaquette d'une de ses parutions. Son travail est alors exposé à des millions de lecteurs. À la suite de quoi Philippe Vasseur se concentre sur la peinture, et particulièrement la peinture à l'huile.

Aujourd'hui, il vit et travaille à Paris. Ses tableaux sont présentés dans de prestigieuses galeries en France, en Angleterre, aux États-Unis et au Japon.


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Philippe Vasseur ou le peintre face à sa propre énigme
Philippe Vasseur ou le peintre face à sa propre énigme
Philippe Vasseur ou le peintre face à sa propre énigme
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Philippe Vasseur ou le peintre face à sa propre énigme
Philippe Vasseur ou le peintre face à sa propre énigme
Philippe Vasseur

Philippe Vasseur

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3 avril 2019 3 03 /04 /avril /2019 08:23
L'univers floral de Véronique Desjonquères

Les peintres ont toujours été inspirés par la flore qui tient une place importante dans l’art. Pour s’en persuader, il suffit de remonter le temps et de voir combien les fleurs sont déjà présentes dans l’Egypte ancienne, par exemple  dans le jardin de Nebamon où un fragment de paroi peinte donne accès à différentes espèces de végétation entourant un bassin d’eau. L’antiquité a eu ses floralies, univers qui a toujours fasciné l’homme, particulièrement les peintres épris de leur beauté. Au cours des âges, la rose a parfumé le jardin d’Eden et le jardin médiéval clos ne fut pas seulement un lieu de culture mais de culte, celui du paradis imaginaire que le jardinier et le peintre tentent l’un et l’autre de recréer.

 

Les flamands ont excellé dans le rendu de la flore au XVe siècle. Jan Van Eyck, par exemple, avait choisi le lys et l’iris comme symboles de la pureté de Marie et Arcimboldo dut en grande partie sa réputation à ses portraits où il assemblait fruits et fleurs pour mieux exprimer l’âme de son sujet. Chaque fleur a été à elle seule un symbole, ainsi le lys, le jasmin, le coquelicot.  Monet ne l’a pas ignoré qui a peint ses nymphéas à différentes heures du jour afin de mieux en rendre l’éclat et modifier l’impression que la lumière exerce sur celui qui en contemple les subtiles variations.

 

C’est à cette inspiration-là que Véronique Desjonquères a dédié, en partie, sa prochaine exposition*. Après avoir longtemps questionné le visage de l’adulte et de l’enfant dans le souci d’en déchiffrer le mystère, elle s’est volontiers consacrée aux fleurs pour en saisir la splendeur et la  fragilité. Elles sont la beauté dans ce qu’elle a de pur et d’éphémère, de tendre et de vulnérable. Les peindre, n’est-ce pas s’approcher d’un paradis auquel on tente de prêter un semblant d’éternité, éternité où les fleurs ne faneraient plus, où la terre ne connaîtrait point l’aridité, où ne mouraient ni les insectes, ni les oiseaux ?

 

L'univers floral de Véronique Desjonquères
L'univers floral de Véronique Desjonquères

Van Gogh disait que la couleur, c’est l’enthousiasme, la vie à l’état pur et brut, en quelque sorte « Dieu en soi ». Les fleurs n’enflamment-elles pas la pâte et l’ensemble de la matière picturale ? C’est pour cette raison que la plupart d’entre elles, comme les tournesols, sont orientés vers le soleil et que les coloris deviennent en quelque sorte l’expression de l’harmonie fondamentale et l’image ardente de la vie. Cette beauté passagère est un hommage à la richesse et à la diversité de la nature et une quête de l’harmonie universelle.


Véronique Desjonquères s’est ainsi immergée dans les jardins, au cœur d’un univers végétal qui lui convient, l’interpelle sur le sens de la vie, la beauté momentanée des choses, la quiétude d’un monde qui a ses références de grâce et de permanence et ouvre sans cesse des pages à notre imaginaire. La finesse de son dessin, l’alliance de ses couleurs procurent à cette flore picturale un charme envoûtant comme si la lumière s’attardait sur ce qui nous semble … un instant dans le monde.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


 

Pour consulter les précédents articles consacrés à l'artiste peintre Véronique Desjonquères cliquer sur leurs titres :

 

Desjonquères et Boissoudy ou l'humain réhabilité

Une jeune peintre nous raconte Hong-Kong

Véronique Desjonquères ou le visage retrouvé

Tu es belle à l'intérieur de ton coeur de Véronique Desjonquères

 

 

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L'univers floral de Véronique Desjonquères
L'univers floral de Véronique Desjonquères
L'univers floral de Véronique Desjonquères
L'univers floral de Véronique Desjonquères
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22 janvier 2019 2 22 /01 /janvier /2019 09:53
Georges Bernanos, incroyable visionnaire de notre temps

 

Disparu il y a 71 ans, Georges Bernanos a deviné avant l’heure les dangers et les excès qui menacent notre monde contemporain. Il les a même décrits dans plusieurs de ses ouvrages avec une prémonition qui laisse pantois, ouvrages que l’on republie aujourd’hui tant sa parole demeure vivante. Insoumis et radical, Bernanos n’a cessé de chambarder son époque par son incroyable perspicacité et ses dons de visionnaire. Allié de Mauriac, il se plaisait comme l’auteur du « Nœud de vipères », à pointer du doigt la bourgeoisie pharisienne. L’écrivain était un trublion né. Dès ses premiers écrits, il dérange, d’autant que sa foi s’avère d’une exigence absolue et son caractère celui d’un insoumis permanent : « La civilisation parle pour la partie basse de l’homme. Nous parions pour l’autre. Etre héroïque ou n’être plus. » - écrivait-il tant la partie la plus haute de l’homme était son credo. « La liberté, certes, mais pas n’importe laquelle, seule celle qui rend l’homme digne » – précisait-il. L’horizon, selon Bernanos, était celui d’un absolu, le souci d’être continûment loin des tièdes et des dociles. Il osait même affirmer non sans humour : «Quand je n’aurai plus que les fesses pour penser, j’irai m’asseoir à l’Académie. »

 

Quel était son statut vis-à-vis de ses contemporains ? Certainement celui d’un écrivain rebelle, un prophète inapte à jouir du moment présent, un romancier qui savait sonder les âmes mais un anarcho-mystique politiquement égaré, un prophète qui soufflait le chaud et le froid et refusait avec véhémence de s’adapter aux exigences de la vie pratique. En quelque sorte, un Don Quichotte impétueux, soldat de Dieu certes, mais en qui sommeillait un apprenti sorcier, selon Henri Clouard. La pauvreté et l’esprit d’enfance sont parmi les valeurs clés de ses romans comme « Les grands cimetières sous la lune » et « Mouchette ». « La France contre les robots », publié en 1944, est une réflexion sur la civilisation moderne et les progrès techniques qui empêchent l’épanouissement de l’homme et de sa liberté. Pierre Cormary a dit de lui qu’il est le divin monstre de la littérature française : « Un auteur dont tout le mal qu’on dira de lui sera toujours inférieur au bien qu’il nous a fait. » « S’il arrive que son intransigeance lasse et que sa fureur perpétuelle ennuie » – ajoute-t-il – «  quel homme ! Et quel écrivain ! » En vérité, ce ténébreux voit clair. Chez lui grandeur, véhémence, puissance de l’indignation sont proches de Dostoïevski et des grands écrivains chrétiens. Dès 1938, Bernanos et sa famille (il a épousé une descendante d’un frère de Jeanne d’Arc et aura 6 enfants), il annonce la couleur : « Je ne suis nullement un passéiste, je déteste toutes les espèces de bigoteries superstitieuses qui trahissent l’esprit pour la lettre. (…) Je défie qu’on trouve dans mes livres aucune des écoeurantes mièvreries sentimentales dont sont prodigues les dévots du bon vieux temps. » Voilà, comment il lui arrive de remonter les bretelles de ses détracteurs … « Des imbéciles s’imaginent que je passe mon temps à regretter le passé, mais je ne pense qu’à l’avenir. » Et toujours avec le même  humour mordant : "Les ratés ne vous rateront pas".
 

Georges Bernanos et sa famille passeront plusieurs années au Brésil mais Bernanos met un terme à cet exil volontaire en 1945. Dans la France retrouvée, il découvre la libération et n’y voit, en définitive, que les effets d’une victoire de la barbarie sur la civilisation, avec l’épuration. Très vite d’ailleurs, il  ne tarde pas à supposer les méfaits que  le nouveau monde en gestation et les prémices de la sainte alliance entre la croissance économique et la consommation de masse, le tout régulé par la techno-structure, vont produire : « La plupart des démocraties, à commencer par la nôtre, exercent une véritable dictature économique. » Le pouvoir crée tout simplement « l’homo économicus », un être réduit à l’état d’objet, en quelque sorte une marchandise. Si bien qu’à ses yeux l’avenir prend les apparences d’une tyrannie, entraînant irrévocablement l’abandon de l’âme et le progressif anéantissement de toute vie intérieure.

 

« Il y a une crise française, il y a une crise de l’Europe, mais je pense autant vous le dire tout de suite, que ces crises ne sont que les aspects d’une crise d’un caractère général. Cette crise est une crise de civilisation. » Il prévoit donc la naissance d’une société qui ferait «  de l’homme libre une espèce de monstre réputé dangereux pour la collectivité tout entière ». Selon lui, l’avenir a le visage inhumain d’une tyrannie mondialisée, souligne Paulin Césari .

 

Curieusement, cet homme nous l’avons sous les yeux au quotidien. Il est celui que Bernanos avait prévu dès les années 1946, un homme réduit et résigné, « prochainement remplacé par la machine à penser qu’ils attendent, qu’ils exigent, qui va venir » - poursuit-il. Et, en effet, elle se profile avec l’homme augmenté et l’intelligence artificielle selon les prophètes du transhumanisme … Ce visionnaire incroyable avait donc tout subodoré. A son époque, on peut admettre que quelques-uns aient raillé son pessimisme et l’ait trouvé extravagant. Mais de nos jours, comment ne pas être sidéré par une telle clairvoyance, une telle prémonition. « Nous n’assistons pas à la fin naturelle d’une grande civilisation humaine, mais à la naissance d’une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce à une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation des hautes valeurs de la vie. »

 

Oui, cher Bernanos, il est grand temps que les hommes et les femmes d’aujourd’hui se réveillent. A coup sûr, vous auriez été pour ceux qui entendent résister, qui pratiquent l’insoumission radicale, cela en la payant  au prix le plus fort, la prudence étant trop souvent l’alibi des lâches. Nous ne souhaitons pas être ce vous désigniez déjà comme … « les chimpanzés du futur ».

 

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Georges Bernanos, incroyable visionnaire de notre temps
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8 janvier 2019 2 08 /01 /janvier /2019 10:54
Les chats de hasard d'Anny Duperey

Ce livre d’Anny Duperey est un vrai régal tant ses évocations de la vie animale sont un enchantement pour ceux qui aiment les animaux, en ont eus, et ont découvert, à leur contact, un monde de sensibilité que jusqu’alors ils étaient loin d’imaginer. Oui, animaux à poils, à plumes ou à écailles ont en eux des réserves insoupçonnées de richesses diverses à nous faire partager, un univers secret à révéler à nos esprits trop souvent emmurés dans leurs certitudes. Avec Anny Duperey, ce sont les chats et quels chats ! - dont elle nous conte la vie, nous détaille les habitudes, les manies cachées, nous conviant ainsi à une approche subtile de leur caractère et de leur comportement. En quelque sorte, à entrer en intimité avec eux.


Une enfance difficile, tragique même, a fait de cette petite fille orpheline à 8 ans, une femme sensible qui, peu à peu et grâce à son compagnonnage avec les chats et la nature, a su et pu se libérer de douloureuses obsessions, dénouer ses blocages intérieurs et vaincre ainsi une nature insoumise trop tôt éprouvée par le deuil. Parlant de Missoui, sa belle, sa magnifique chatte de hasard, l’auteure précise :   "Missoui en m’attendant pour mourir, en me donnant ainsi l’occasion de toucher la mort d’une manière tangible sans en être révulsée, d’aller jusqu’au bout pour la première fois en la portant en terre, a marqué la véritable fin de mon deuil. Elle a définitivement renvoyé dans le passé l’ancienne petite fille fidèle malgré tout à ses douleurs, à des réactions qui n’ont plus lieu d’être."

 Et plus loin : « Missoui, cette petite personne animale, a été pour moi, à l’égal d’une affection humaine, une amie, un amour merveilleux, un grand soutien et finalement celle qui m’a aidée à franchir une nouvelle étape. »

Oui, les animaux, quels qu’ils soient, nous enrichissent, nous ouvrent des horizons, nous consolent très souvent, nous sont fidèles par-delà nos lâchetés et nos abandons. Aussi ce livre est-il un témoignage émouvant, délicat et tendre de ce que le monde humain doit au monde animal.

 

« Quant à leur complexité avec le travail d’écriture – souligne-t-elle dans l’ouvrage – comme je le décrivais précédemment à propos de la sauvage Mina, il y a là quelque chose de tout à fait spécial et de supérieur dans leur entente avec les humains. Je suis pour ma part persuadée qu’il existe un accord subtil entre le chat et une forme de concentration mentale. Cela lui plaît de nous sentir réfléchir, cogiter en silence, il se sent bien dans cette atmosphère. Il doit alors émaner de nous des ondes, une fréquence particulière qu’il capte et dans laquelle il s’épanouit. »

 

Avec mes poissons Globulette et Nautilius, je m’étais aperçue que rien ne leur plaisait davantage que la voix humaine. Lorsque je répétais dans la salle-à-manger, à un mètre de leur aquarium, une de mes conférences, mes deux Voiles de Chine pouvaient rester une heure - ce qui de la part de Nautilius constamment en mouvement était une prouesse - à m’écouter le nez collé à la vitre. Il y a donc entre les animaux et les hommes des connivences et des complicités. Ils  sont les caisses de résonance qui nous aident non seulement à les comprendre mais à mieux nous comprendre nous-mêmes. Merci, chère Anny Duperey de nous raconter comment vos chats de hasard ont changé votre existence, affiné votre perception, apaisé votre cœur, comment ils vous ont aidée à vaincre vos propres réticences, à combler vos attentes et  à adoucir vos trop longues traversées de pénombre.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Les chats de hasard d'Anny Duperey
Anny Duperey, comédienne et écrivain

Anny Duperey, comédienne et écrivain

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20 décembre 2018 4 20 /12 /décembre /2018 10:41
La fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch

Ce livre est une plongée saisissante  dans le cœur du peuple russe aux lendemains de la chute du communisme, de même qu'un témoignage sur les dégâts que cette rupture brutale produira sur la population, désespérant certains, encourageant d’autres à envisager un avenir meilleur. Les témoignages nombreux, recueillis par l’écrivain Svetlana Alexievitch, sont d’un grand intérêt car on prend ainsi le pouls de la population dans sa diversité et on s’immerge dans la détresse d’un pays qui, soudain, a perdu ses repères et affronte un bouleversement sans précédent. Armé de son magnétophone comme dans son précédent ouvrage « La guerre n’a pas un visage de femme », Svetlana  a ainsi conservé vivante la mémoire de cette tragédie, celle de l’URSS en proie à sa folle utopie. En soixante-dix ans – dit-elle – le marxisme-léninisme a créé un véritable laboratoire pour tenter d’envisager un type d’homme particulier : l’homo sovieticus, cet homme rouge condamné à disparaître avec l’implosion de l’Union soviétique. Dans ce requiem tragique et bouleversant, elle invente ainsi une forme littéraire polyphonique qui fait résonner aux quatre coins du pays les voix  de nombreux témoins, des humiliés, des offensés, des mères déportées, des staliniens, des enthousiastes de la perestroïka, des rêveurs impénitents, des exaltés autant que des désespérés, cela dans une suite de confidences sur le malheur russe et la rudesse d’un temps qui n’aura épargné aucun de ses survivants. Sa méthode est simple : elle pose des questions non sur le socialisme mais sur l’amour, la jalousie, l’enfance, la vieillesse, ce qui a trait à la nature humaine et comment, ce qui est la base de toute existence, peut se vivre, s’éprouver, se survivre dans un tel enfer ! Les confidences sont tantôt incroyables, émouvantes ou révoltantes, toutes disent combien l’être humain est en mesure de tout supporter, de tout admettre d’un système lorsque son pouvoir de résistance est mis à l’épreuve.

 

« J’étais étudiante … Tout s’est passé très vite. En trois jours, la révolution était terminée. Au journal télévisé, on a annoncé que les membres du Comité d’Etat pour l’état d’urgence, avaient été arrêtés … Que Pougo, le ministre de l’Intérieur, s’était tiré une balle, et que le maréchal Akhromeïev s’était pendu … Nous en avons discuté longtemps dans ma famille. Je me souviens que papa disait : «  Ce sont des criminels de guerre ! Ils devraient connaître le même sort que les généraux allemands Speer et Hesse. » Tout le monde s’attendait à un procès de Nuremberg. »

 

A ces considérations de bon sens, il en est d’autres d’étonnantes, de poignantes où se lit un désarroi profond, une sorte de folie douloureuse, une révolte qui suscite chez ces témoins une vision apocalyptique  de la vie et du monde. Il y a aussi une réelle confrontation avec les exigences du cœur humain, cette permanence qui est l’âme d’un peuple, aussi vaste et hétérogène que celui-ci, ce que chacun d'eux éprouve comme  le sens du destin :
 

« Qui m’a donné tout ça ? Dieu ou les hommes ? Si c’est Dieu, alors il savait ce qu’il faisait. La souffrance m’a éduquée … C’est mon œuvre … Ma prière. »

 

Avec les Russes, nous sommes  toujours au bord des extrêmes, le pays veut cela, un pays qui couvre une partie de la terre, des neiges quasi éternelles de Sibérie aux souriants paysages des frontières de l’Europe. Oui, ces terres sans fin ont été les témoins de tant de drames, de guerres, d’invasions, elles ont vu les peuples se mélanger et s’unir dans un même amour de la patrie, oui étrange Russie ! Les poètes ont su la chanter, car les Russes aiment les poètes, et les écrivains ont emprisonné dans leurs récits l'Histoire  avec les mots  qui cernent la réalité la plus réelle et la plus spirituelle, celle d’une âme russe qui vibre longtemps dans les mémoires.
 

« Des mots de tous les jours, des mots simples, et en même temps profonds. Tristes. Et ces mots tout simples contenaient une vérité dernière, la vraie … Sa voix frémissait. Et tout le monde se mettait à pleurer avec elle. On oubliait que la vache n’avait pas été traite, que le mari était resté ivre mort à la maison. Les gens étaient transfigurés, les soucis disparaissaient, les visages devenaient lumineux. »

 

A l’époque du bolchevisme, une grande part de la vie intellectuelle se déroulait dans les cuisines. C’est là qu’on échangeait, car la population était pauvre, il n’y avait d’ailleurs que des pauvres. On vivait le plus souvent dans des appartements communautaires, surtout dans les villes. Ensemble, les Russes refaisaient le monde, lisaient à voix haute, jouaient de la musique autour d’un maigre repas. On n’était envieux de personne puisqu’il n’y avait personne à envier, on s’arrangeait tant bien que mal de son sort si on avait la chance de rester à l’abri des dénonciations et des persécutions.

 

« Des peurs, nous en avions beaucoup, des grandes et des petites … Nous avions peur de grandir, nous avions peur d’avoir cinq ans. A cinq ans, on nous emmenait à l’orphelinat, et nous comprenions que c’était très loin. Très loin des mamans … Moi, je me souviens qu’on  m’a mise dans l’orphelinat N° 8 du hameau N° 5. Là-bas, tout portait des numéros et, à la place des rues, c’étaient des lignes. La première ligne, la deuxième ligne … On nous a fait monter dans un camion et on nous a emmenés. Les mamans couraient derrière, elles s’agrippaient aux ridelles, elles criaient, elles pleuraient. Je me souviens que les mamans pleuraient tout le temps, et les enfants rarement. On ne faisait jamais de caprices ni de bêtises. On ne riait pas. C’est seulement à l’orphelinat que j’ai appris à pleurer. Là-bas, on nous battait beaucoup. »

 

Enfin, il y a la question de la mort dans un pays où la mort semble plus présente que la vie.

 

« Oui, notre plus grand rêve, c’était de mourir. De nous sacrifier. De tout donner. Le serment des komsomols dit : "Je suis prêt à donner ma vie pour mon peuple s’il le faut." Et ce n’étaient pas seulement des mots, on nous éduquait vraiment comme ça. Quand une colonne de soldats passait dans la rue, tout le monde s’arrêtaitAprès la VictoireUn soldat, c’était quelqu’un de formidableLorsque je suis entrée au Parti, j’ai écrit de ma main : "J’ai pris connaissance du programme et des règlements et je les accepte. Je suis prête à consacrer toutes mes forces à ma Patrie, et à donner ma vie pour elle s’il le faut."

 

Le grand intérêt de ce livre est d'avoir  donné la parole à des personnalités diverses, de s'être consacré non seulement aux faits mais aux émotions, aux sentiments, aux élans du cœur et aux découragements qui composent aussi l’histoire, simplement parce que ces témoignages ont été recueillis par une littéraire pour qui l’âme des hommes et des femmes compte davantage que le déroulé de l’actualité. Qu’est-ce que cette histoire a fait des hommes ? Pourquoi un tel malheur ? Aux lendemains de ce malheur, que reste-t-il dans les mémoires ? Comment les Russes envisagent-ils leur avenir ? Quel tissu affectif s’est composé après que le pire ait été  la trame du quotidien ? Voilà ce que Svetlana Alexievitch a eu le souci de laisser à notre temps.


«  Nous, ici, on continue à vivre comme on a toujours vécu. Sous le socialisme, sous le capitalisme … Pour nous, les Blancs et les Rouges, c’est du pareil au même. Faut tenir jusqu’au printemps. Planter les patates. J’ai soixante ans. Je  ne vais pas à l’église, mais il faut bien parler à quelqu’un. Parler d’autre chose. J’ai pas envie de vieillir, ça ne me dit rien du tout. Mais j’aurai du regret de mourir. Vous avez vu mon lilas. La nuit, quand je vais dehors, ça m’éblouit. »

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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La fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch
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12 décembre 2018 3 12 /12 /décembre /2018 09:36
Ma lettre au Père Noël 2018

 

 

Cher Père Noël,

 

Je ne pensais pas t’écrire cette année tant l’abattement a réduit en miettes mon inspiration. Que dire, en effet, face à une actualité qui ne cesse de se dégrader, que demander lorsque les convictions sont mises à mal, que solliciter lorsque, année après année,  nos souhaits restent à l’état de vœux pieux ? Rappelle-toi, cher Père Noël, en 2012, je te conseillais d’alléger ta hotte en renonçant à distribuer aux enfants et aux hommes des bonbons, chocolats, huîtres ou foie gras, les remplaçant par des denrées non périssables comme la bienveillance, le désintéressement, l’humilité, le discernement. En 2013, j’avais même eu l’audace de t’exhorter à te mettre en grève, afin que les terriens que nous sommes soient pour une fois à égalité devant leurs pantoufles vides, espérant que les enfants, et pourquoi pas les adultes, réapprendraient, à la suite de cet avertissement de ta part, à jouer avec le vent, le voisin de palier, l’inconnu d’en face et s’obligeraient, par la force des choses, à devenir plus raisonnables, plus coopératifs, en quelque sorte plus humains.


 

 

En cette avant-veille des fêtes 2018, le bilan est toujours aussi négatif. Aux guerres, au chômage, à la pauvreté galopante, aux injustices diverses, se sont ajoutées les catastrophes d’origine climatique dues au réchauffement de la planète et à l’inconséquence des hommes qui bétonnent à tout va, polluent sans se soucier des lendemains et de l’état dans lequel ils laisseront la terre aux générations à venir. Oui, le journal télévisé quotidien ne cesse de faire défiler devant nos yeux des tragédies sans fin. Les grands de ce monde sont devenus fous et la discorde règne partout, menaçant les plus faibles, aveuglant les plus forts, annulant leurs promesses chimériques.

 


 

Alors que faire, qui croire, cher Père Noël, en pareilles circonstances ? Toi qui œuvres depuis tant d’années pour apporter un soir par an une once de bonheur, un soupçon de joie, une aune de plaisir, n’es-tu pas à ton tour frappé de stupeur devant l’inconséquence humaine, la mégalomanie de quelques-uns, l’effroyable cruauté de certains autres et, parfois, les bras ne t’en tombent-ils pas devant la tâche épuisante qui t’attend pour tenter d’adoucir le sort de ces malheureux ? Je sais que tu feras ton boulot jusqu’au bout mais il est à craindre que la féerie qui t’entoure soit dorénavant plus marchande que poétique et n’est-ce pas la poésie qui t’a porté à bout de bras jusqu’à nos jours ? Aussi je redoute  fort que ton avenir ne se réduise à une peau de chagrin … comme les crèches que l’on s’emploie à supprimer, et que le chagrin des uns ne soit pas la consolation des autres.

 

 

Mais ne cédons pas au découragement et à la plume chagrine, ce serait faire fi de l’espérance, aussi, cher Père Noël, laisse parler ton cœur et fais en sorte que chacun reçoive en mesure de ses efforts ou de ses épreuves. Ce serait mettre à nouveau la réalité dans le bon sens. Et surtout ne charge pas trop ta hotte de portables … au lieu de rapprocher les hommes, ils les séparent et fatiguent leurs neurones. Alors sois prudent dans tes choix et ne te laisse pas abuser par la publicité consumériste …

 

 

ARMELLE

 

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Lettre au Père Noël 2015

Lettre au Père Noël 2013

Lettre au Père Noël 2012

Ma lettre au Père Noël 2018
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17 novembre 2018 6 17 /11 /novembre /2018 09:03
La guerre n'a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch
La guerre n'a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch

        

Voilà un livre que je n’ai pas lâché durant trois jours et lu d’une traite tant il m’a passionnée et émue. Un livre témoignage sur un sujet rarement approché, celui des femmes engagées dans la terrible guerre entre la Russie soviétique et l’Allemagne nazie durant les années  1941 à 1945. Rien au départ ne laissait supposer que l’Allemagne s’attaquerait à la Russie après que les deux pays aient signé le pacte germano-soviétique, aussi le peuple russe n’était-il pas préparé à cette éventualité. Mal armé et mal engagé, ce fut un redoutable affrontement qui ne fit pas moins de 26,6 millions de morts du côté russe, l’Allemagne, armée jusqu’aux dents ayant, à la suite de Napoléon, mit cet immense pays à feu et à sang, lui imposant sièges, famines, bombardements, combats d’une violence inouïe. Comment des femmes eurent-elles le courage de s’engager, pour certaines dès l’âge de 16 ans, dans ces combats effroyables et tenter, au prix du sang et des larmes, de sauver leur patrie ? C’est ce que raconte cet ouvrage de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015, qui a consacré sept années de sa vie à recueillir les témoignages des femmes qui ont accepté de lui narrer ce que fut ce temps de sacrifice et dans quelles conditions elles l’ont abordé et vécu. A la suite de cette publication, l’ouvrage a inspiré une série télévisée du metteur en scène Viktor Dachouk et une réalisation théâtrale.

 

Ainsi Svetlana se fait-elle toute écoute, oreille attentive aux récits nombreux de ces témoins et actrices d’une  histoire de guerre certes, mais aussi d’une histoire de sentiments, ceux de femmes confrontées à un inexorable sacrifice et qui ne cesseront de préserver la part humaine qui subsiste en elles. En effet, pour les femmes qui donnent la vie, donner la mort est tout simplement impensable. Et cependant, elles ont été amenées à le faire, pourquoi, comment ? C’est le thème de ce livre tragique, de ce document unique sur l’univers de la guerre traversé et vécu par le sexe … faible. Presque toutes sont revenues à la vie normale avec les cheveux gris et elles n’avaient alors que 20 ou 25 ans ! Mais elles venaient de traverser l’impensable, l’inimaginable, avec pour seul horizon le sang, la souffrance et la mort. Qu’est-ce qui les motivait pour affronter ce monde de l’horreur ? Un seul objectif, sauver leur patrie, la terre qui les avait vu naître et grandir, sauver l’héritage humain qui était le leur.

 

« Nous étions si heureuses, nous avions des projets si grandioses : les études que telle ou telle allait entreprendre, la fac où on allait s’inscrire, l’avenir qui nous attendait. Et brusquement la guerre ! (…) Nous avons été trimbalées durant 2 mois dans des wagons à bestiaux. Nous étions deux mille filles, un train entier. Le train de Sibérie. Des chefs de section nous accompagnaient, ils étaient chargés de nous former. Nous devions être affectées aux transmissions. Nous sommes arrivées finalement en Ukraine, et c’est là que nous avons été bombardées pour la première fois. »

 

« Si les hommes voyaient une femme en première ligne, leurs visages changeaient, le seul fait même d’entendre une voix féminine les métamorphosait. Une nuit, je me suis assise à l’extérieur de mon gourbi, et je me suis mise à chantonner tout bas. Je pensais que tout le monde dormait, que personne ne m’entendait mais le matin, le commandant  m’a dit : «  Nous ne dormions pas. Nous avons une telle nostalgie des voix de femme. »

 

Ces femmes se sont chargées de toutes les tâches, ont exercé tous les métiers : elles ont été blanchisseuse, cuisinière, chef de section, boulangère, vaguemestre, combattante auxiliaire, mécanicienne, tireur d’élite, chef de liaisons, brancardière, agent de transmission, capitaine de corvette, tankiste, infirmière, médecin, chirurgien, surmontant la peur, l’angoisse, le dégoût ; elles ont même connu l’amour, seul événement personnel qu’elles éprouvaient durant la guerre. Malgré la saleté, les lourds godillots, les vêtements trop larges, trop grands, rarement leur féminité, leur coquetterie ne les ont quittées. Pas davantage leur cœur de femme devant la douleur. On s’aimait parfois à la va vite, entre deux combats, deux décès, on se réchauffait le corps et l’esprit pour oublier le pire et son masque de terreur. En 1945, quand la victoire a été acquise, que leur est-il arrivé ? La plupart d’entre elles ont été délaissées car les hommes, après ces épreuves, avaient envie d’autre chose, ils ne souhaitaient nullement se mettre en ménage avec une femme qui avait traversé ce long temps de combat. Cela avait été trop long, trop dur, aussi s’empressèrent-ils d’oublier ces compagnes de souffrance. Si bien que la plupart d’entre elles ont connu la solitude. Il leur a fallu envisager l’avenir  sans autre soutien qu’elles-mêmes. Elever les enfants, guider les orphelins dans un immense sentiment de solitude et d’abandon.

 

Aujourd’hui, malgré tant de sacrifices, qu’est-ce qui a changé dans le monde ? Est-il devenu plus tolérant, meilleur ? Ces combattantes avaient espéré qu’après de pareilles épreuves, l’amour serait plus fort que la haine, que l’humanité se transformerait. Qu’en est-il ? Ce livre bouleversant pose la question et ces témoignages, exprimés dans les larmes et avec les mots de tous les jours, nous obligent à réfléchir au sens que l’homme entend accorder à la vie et aux bons offices qu’il est disposé à céder à ses sœurs, ses compagnes, dont les paroles discernent et pardonnent.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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Svetlana Alexievitch

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29 août 2018 3 29 /08 /août /2018 09:12
Le retour aux sources ou l'art de s'émerveiller

Un peu lasse d'un été chargé, j’aspirais à un moment de détente, un temps de méditation où se retrouver soi-même,  savourer  le silence, ce qui nous manque le plus aujourd’hui. C’est ainsi, qu’en compagnie de mon mari, je suis partie me réfugier au plus profond de la campagne dans un coin de verdure ignoré par le bruit, en ce pays d’Auge collineux et bucolique qui prête à la Normandie ce caractère bocager tellement séduisant. Autour, ou proche de nous, un étang qui dort, des herbages entourés de haies vives, des pommeraies et des troupeaux paissant calmement sous un ciel parcouru de nuages nomades. Une terre paisible et attentive et des cieux voyageurs qui laissent dans l’atmosphère une brume bleutée. Voilà posé un décor de rêve, empreint de paix et de joie tranquille. Les rares bruits sont le bêlement des moutons, le mugissement des vaches et surtout le chant discret des oiseaux à cette saison où ils sont tentés de se taire. Ainsi, tout est-il propice à l’émerveillement. D’ailleurs, «S’émerveiller» est le seul livre que j’ai emporté avec moi, réflexions philosophiques où l’auteure Belinda Cannone nous propose une analyse fine et poétique de cette faculté que nous avons de saisir la beauté dans son expression la plus simple et la plus quotidienne. Belinda a rédigé cet ouvrage dans le pur présent, lors d’événements inattendus et intimes qui surviennent en nos vies comme des épiphanies. Il est vrai que la vie heureuse est celle vécue dans l’immédiateté, ce sont ces instants où un pigeon roucoule, où le paysage s’élabore dans son élégance spontanée, où les arbres déploient leurs bruissements mélodieux, que le bonheur s’invite à notre table et que nous sommes totalement solidaires de ce présent qui semble subitement s’immobiliser.

Le retour aux sources ou l'art de s'émerveiller

Alors, l’émotion devient naturelle. C’est une émotion tendre et enfantine, celle de l’oiseau qui picore à deux pas, de l’ombrage familier, du ciel qui s’empourpre à l’heure du soir et prête aux lointains une fulgurance wagnérienne, du vent qui se lève subitement et fait ondoyer la canopée ou ce parfum de pomme qui nous saisit et nous procure un avant-goût de tarte tatin. Qu’il est bon de se délester des soucis quotidiens, d’abandonner le courant de la vie ordinaire pour  mieux se rassembler en soi, revenir à l’essentiel et à ce qui compose nos aspirations les plus chères, faisant taire, pour un moment, l’agitation du monde. Un monde qui ne sait plus s’écouter, prendre recul et hauteur, se complaisant dans une permanence brouillonne. « Le risque de l’enténèbrement a frappé notre époque » - écrit Belinda Cannone qui sait si bien s’émerveiller de l’ordinaire des choses, des gestes les plus humbles, des actes les plus anodins, ceux qui édifient la matière du monde. Oui, il y a danger à aller progressivement vers la perte du désir vital, vers un refoulement de l’humain. Alors que le bonheur est si présent lorsque nous nous éloignons de l’actualité internationale et que nous le percevons proche du regard, de la main et du cœur comme un rappel de ce qui comble l’âme et rend la merveille possible !

 

J’aime ces heures qui s’écoulent lentement, qu’on laisse glisser en appréciant leur goût parfait, leur composition simple, leur enchantement subit. Vivre a alors un sens profond, une sorte de continuité dans l’élaboration de notre relation envers les autres, vers toute existence qui accompagne et cisèle une famille, une communauté, une nation, si tant est que cela soit possible ! Il est vrai que le possible n’est pas toujours du domaine du réel, tant ce réel a été malmené, tant notre quotidien a été maintes fois entaché et blessé. Au mieux, pouvons-nous remailler le présent, tenter de renouer les fils qui lâchent, refuser les actes qui portent atteinte à la plénitude de la vie humaine. Souhaiter simplement caresser de la paume l'agneau qui bêle, des yeux la fleur qui s'ouvre, le matin qui se lève, saluer le voisin, le passant, protéger le faible, respecter la nature.

 

L’émerveillement n’est pas l’éblouissement, il est plus secret, plus humble et peut s’éprouver à tout instant : la saveur d'un fruit, la surprise d'un paysage, d'un envol d'oiseau, d'un éclairage sur la campagne ou sur la mer. Pourquoi sommes-nous si fréquemment dans l’attente, l’agitation, le souci du lendemain ? Notre regard ne sait-il plus s’attarder, se reposer sur les choses dans notre souci permanent d’autre chose ? C’est de cela dont nous devons guérir. Réapprendre à goûter l’instant, à contempler une nature qui s'empresse à nous quérir et n’est-ce pas ce que je suis venue chercher au cœur d’un pays d’Auge pastoral où le temps prend son temps et nous réhabitue à voir et à aimer ? Je crois bien que oui …
 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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Le retour aux sources ou l'art de s'émerveiller
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11 août 2018 6 11 /08 /août /2018 08:39
Silencieux tumultes d'Edmée de Xhavée

Dans ce quatrième roman d'Edmée de Xhavée, le personnage principal n'est ni un homme, ni une femme, ni même un animal, mais une maison. Elle est l'épicentre de cette histoire de famille qui s'écoule de l'année 1928 à l'année 2009 et voit ainsi passer, entre ses murs, quatre générations avec leurs drames, leurs inquiétudes, leurs joies, leurs deuils et leurs naissances, leurs alliances et leurs ruptures. Au fil des pages, cette demeure dévoile ses charmes, joliment décrite par l'auteure qui se plaît à en détailler chaque pièce, la véranda enguirlandée de vigne, le jardin ombragé, l'azalée rose et les rhododendrons, mais également la décoration raffinée des salons et des chambres, l'élégance des meubles, les objets personnels, la vaisselle aux accents de vacances, les belles nappes ouvragées, la desserte à roulettes laquée rouge. Le mérite de ces objets est celui de se fondre dans un décor qui accompagne des vies successives, de surprendre, posés sur eux, tant de regards, de connaître d'innombrables secrets et de composer avec les lieux un ensemble inoubliable, une sorte de scène où les événements se déroulent dans l'intimité de leur présence.

 

Cette petite société, à l'abri des clôtures de son jardin, cette bourgeoisie de bon aloi, sachant sa mort annoncée, a su faire de ses usages son dernier pré-carré. Les mariages sont davantage des alliances que des coups de coeur, des placements que des emballements subits. Ici règne une hiérarchie implacable entre les gens de maison, soit les domestiques, et les maîtres des lieux, hommes et femmes qui se lient sans passion et se supportent sans acrimonie. L'essentiel reste caché, les drames - si drame il y a - doivent se circonscrire entre ces murs et ne point prendre la liberté d'en sortir.

 

D'ailleurs, il ne se passe pas grand chose dans leurs existences, surtout celles des femmes, emmurées en quelque sorte dans leur nid douillet, sinon les fêtes familiales : anniversaires, baptêmes, communions et mariages, si bien que le temps est rythmé par ces événements et l'intimité discrète dans laquelle s'immergent les générations toutes en provenance du même moule.

 

Edmée connaît bien le coeur féminin et en parle avec réalisme, trempant sa plume dans une encre qui sait débusquer les secrets et ne s'accorde aucune concession dès qu'il s'agit de narrer ceux trop bien enfouis et de brosser ainsi un tableau véridique d'un monde voué à la disparition. Si bien que cette maison se fait l'écho des voix qui se sont tues et des dernières scènes d'une famille qui repose à tout jamais dans le cimetière des illusions perdues.

 

"Cette belle maison est un temple des souvenirs, des souffrances, des espoirs, des secrets, des silencieux tumultes. Elle le sait. Les murs ont des yeux et des oreilles mais ne parlent pas, trop occupés à protéger leurs habitants.

Qui d'autre, le front appuyé contre une vitre ou dans les mains, a pleuré d'amour ou de haine dans ces pièces, ou a trahi ? Qui a donné ou repris son corps, son coeur, sa parole, sa confiance ?

Ces objets remisés et oubliés au grenier ont aussi leur mémoire, qu'ils ne rendront pas."  (Page 193)


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'auteure avec son précédent ouvrage.

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Un blog qui privilégie l'évasion par les mots, d'abord, par l'imaginaire...toujours.

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