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18 mars 2016 5 18 /03 /mars /2016 09:42
La part de l'ange de Jean Clair

 

Le livre attire d’emblée  la curiosité par  son titre « La part de l’ange », ouvrage publié récemment par l’académicien Jean Clair, évocation indifférente aux dates, attentive à notre époque dans ce qu’elle a de plus dérisoire et qui entend, dans ses divers propos, rendre justice à la part invisible de l’esprit, à « la part de l’ange ».  Cette part de l’ange  n’est autre que l’image de l’alcool qui s’évapore durant son vieillissement en fût. C’est également l’expression qui désignait jadis la part de l’oreiller laissé à découvert pour accueillir l’ange chargé de veiller sur le sommeil de l’enfant. Jean Clair, conservateur général du patrimoine, se plaît à renouer avec les symboles de notre passé, nous proposant tout d’abord une autre lecture de la peinture du XXe siècle que celle envisagée par le surréalisme et la modernité à l’américaine qui a vu progressivement disparaître le visage de l’homme  et le remplacer par des signes à géométrie variable. Incisif et percutant dans sa démonstration, l’auteur défend une peinture réaliste, essentiellement figurative. Ses peintres : Chardin, Manet, Bonnard, Balthus ; il aurait pu ajouter Michel Ciry, admirable portraitiste de visages en interrogation ou en prière. (Voir l’article que je lui ai consacré en cliquant  ICI )

 

 

D’où les belles pages que l’on peut lire sur les visages humains, figures surprises tour à tour dans leur intimité ou leur déchéance, leur inquiétude ou leur méditation. Belles pages aussi sur « l’origine du monde » et les énigmes du corps et de sa sexualité. Ce corps, compagnon rebelle, que désavoue souvent  le prude Jean Clair, lequel ne craint pas de passer pour misanthrope en avouant qu’il préfère la compagnie silencieuse des « objets » – c’est-à-dire des œuvres qui, souvent, rendent mieux compte de l’homme que l’homme lui-même. Et puis il y a la nature que cet amoureux de la campagne, où il a vécu son enfance, ne cesse de louer,  attaché à tout jamais à ses champs, à ses labours, à ses enclos, cette terre nourricière que l’on galvaude et abandonne. Jean Clair  rumine tout au long de ces pages  « la stabilité perdue de la ferme, cet univers borné et brodé de clôture, de culture et de coutume » qui s’est vu obligé de céder la place  à l’agriculture industrielle. A l’heure où se pose avec une acuité évidente la question de l’environnement, Jean Clair nous apparaît d’un pessimisme lucide car, selon lui, n’est-il pas déjà trop tard ? Ouvrage d’un taiseux et d’un méditatif qui s’attarde avec mélancolie à contempler la part que la poésie a perdu aujourd’hui dans nos vies, cette autre part de l’ange … Et se désole de voir l’ordinateur remplacer peu à peu le livre et l’écrit. Qui prend le temps d’écrire encore à sa famille, à ses amis, à ses proches ? Les sms n’ont-ils pas charge d’enterrer à tout jamais l’art épistolaire ?

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Vue de Dresde après les bombardements alliés du 13 et 14 février 1945

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4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 08:51
Andreï Makine ou l'héritage accablant

 

De lui, Dominique Fernandez, dans son Dictionnaire amoureux de la Russie disait,  il y a quelques années : « A voir la haute stature, le port rigide, le visage taillé à la serpe, la barbe de prophète, les yeux clairs, on dirait un de ces pèlerins qui parcouraient, un bâton à la main (…), l’immensité de la steppe. Mais sous ce physique serein de moine, se cache un esprit rebelle, tourmenté, violent ». Et c’est bien cette impression qu’il donne, à le voir, en photo ou derrière un micro, que son oeuvre, où l’on retrouve la Russie  immense et tourmentée, est bien celle d'une inspiration habitée par une inexplicable tragédie. 

 

Dans chacun de ses romans, l'écrivain nous plonge dans une Russie toujours plus rude où brille parfois un reflet de France. Mais, même lorsque la France est absente, c’est le français que Makine utilise pour décrire et raconter, comme s'il ne pouvait plus s'exprimer que dans la langue de Racine et de Voltaire.    

 

« Je crois qu’on détruit une œuvre en lui accolant une biographie » : Makine est très peu disert sur sa vie. Les critiques, les journalistes en sont souvent réduits à puiser dans ses romans des anecdotes qui leur paraissent autobiographiques. Et même si l'on peut envisager que l’écrivain ait pu, à un moment donné de sa vie, côtoyer les services de renseignement comme le narrateur de "Requiem pour l’Est", on ne trouve aucunement et précisément dans ses livres de traces autobiographiques. D'ailleurs l'homme s'en défend, même s'il n'en remet pas en cause la tentation, entretenant par là sa part de mystère. Dans un premier temps, il explique, en citant Flaubert, la raison pour laquelle il ne s’épanche pas : « Flaubert disait que l’écrivain ne devait laisser que ses œuvres, et que dire des choses sur soi était une tentation petite-bourgeoise à laquelle il avait toujours su résister. Je ne sais pas s’il est très intéressant de savoir si les crises d’épilepsie consécutives à sa syphilis ont pu avoir une influence sur l’écriture de Madame Bovary ». Mais, lorsque Makine avoue que s’il garde pour lui les éléments de son histoire personnelle, c’est pour ne pas en perdre la sève et la disperser en vaines paroles …  ne confirme-t-il pas, à cette occasion, qu’il y a beaucoup de lui dans ses romans ? Devant l’acharnement des journalistes, il répond, alors qu’il vient de publier "Une femme qui attendait: « J’aurais pu vous dire : “ Vous savez quand j’étais étudiant, j’ai été quelque temps dans un village de Sibérie, et bien là-bas il y avait une femme qui attendait depuis trente ans son fiancé parti à la guerre…” Quel intérêt ? Si je fais ça, j’assassine mon roman, je vends mon âme et l’âme de cette femme ».      

 

Andreï Makine est né en 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie. Il serait devenu très tôt orphelin. A ce moment, une femme, sa grand mère, a beaucoup compté pour lui : elle l’a initié dès son plus jeune âge à la langue et à la culture française. Mais cette femme, que l’on retrouve sous les traits de Charlotte dans "Le testament français" et d’Alexandra dans "La terre et le ciel de Jacques Dorme",  se référait à une France d’un autre temps et le comportement de Makine aujourd’hui, à l’égard de la France contemporaine, est révélateur : dans "cette France qu’on oublie d’aimer" ou dans le "Testament français", Makine exprime une sorte de désillusion. Il ne retrouve plus la France surannée qu’on lui avait décrite et à laquelle il rêvait. Cela explique peut-être le réactionnaire qui subsiste en lui et que certains dénoncent.  

 

Après sa découverte du français, on retrouve Makine adolescent : il s’est alors passionné pour la poésie et lancé dans l’écriture, expression de sa liberté (cette « noble liberté intérieure des Russes » dont parlait Pouchkine). Et puisqu’il nous faut l’inscrire dans une filiation russe, il convient de préciser qu’il admire Dostoïevski, Boulkakov et Bounine auquel il consacrera sa thèse effectuée à la Sorbonne : « Poétique de la nostalgie chez Ivan Bounine ».  Par ailleurs, il a voulu s’affranchir de cet héritage en choisissant la langue française. Dès lors, dans la culture hexagonale, il se réfère à Marcel Proust, pour « sa vision poétique des choses » et à Guy de Maupassant « pour la qualité, la rigueur de sa narration ». S’il est vrai que quelques critiques l’ont aimablement surnommé le Proust des steppes, son écriture s'apparente davantage à celle du père de Madame Bovary de par sa parfaite maîtrise du français classique. Dominique Fernandez, dans un article paru le 26 octobre 1995 dans le Nouvel Observateur s’émerveille devant Makine : quand certains lui reprochent des fautes de français, lui y voit, et avec raison, des licences poétiques d’un « étranger qui manie la langue française avec une pertinence et une virtuosité de néophyte supérieures à celles de l’expert chevronné, jusqu’à s’autoriser des néologismes ou remettre en circulation de vieux mots oubliés (sirventès : poème satirique, terme dérivé du Moyen-Âge provençal) ». Cet éloge n’est pas le seul : en effet, on apprécie autant  l’accent slave de sa prose  que « la musique sobre de la nostalgie et de la douleur ». Makine dit de ses textes qu’ils sont très modernes tout en restant classiques. Et, il est vrai, que s'ils se révèlent modernes par leur inspiration, ils restent classiques dans leur forme. La Russie désenchantée que Makine décrit est servie par une langue admirable qui tient de celle de nos auteurs français du XIXe que, jeune homme, il a pu lire dans sa Russie natale où la censure n’interdisait pas les Balzac, Zola et Flaubert.   

 

Lorsque s'ouvre  l’ère Brejnev, dans les années 70, se profile pour le jeune Makine la tentation de la dissidence :  il aurait fréquenté alors les cercles de la contestation intellectuelle. Mais les ennuis, qui ne cessent de se faire plus inquiétants, l'incitent à partir pour la France : comme d’autres compatriotes écrivains il choisit l’exil. On peut  penser ici à  Ivan Chmeliov qui a exalté l’âme de sa terre dans  Pèlerinage en 1935 ou Alexandre Soljenitsyne, expulsé d’Union soviétique en 1977, bien que les immigrés russes en France aient toujours cultivé l’espoir de revoir un jour leur Sainte Russie. Et c'est là que le cas Makine est singulier : contrairement aux autres, il tire un trait sur ses racines en choisissant la nationalité française puisque la nationalité russe ne se conjugue à aucune autre. Abhorrant la société matérialiste de l’ère Gorbatchev, il obtient un statut de réfugié politique. Cependant on ne peut nier la douleur qu’il peut y avoir à se couper ainsi de son pays natal. La métaphore de l’amputation, développée dans "Requiem pour l’Est", apparaît dès lors explicite : «  Plus tard, dans la nuit, je pensai à cette douleur fantôme qu’éprouve un blessé après l’amputation. Il sent, très charnellement, la vie de la jambe ou du bras qu’il vient de perdre. Je me disais qu’il en était ainsi pour le pays natal, pour la patrie, perdue ou réduite à l’état d’une ombre, et qui s’éveille en nous (…) ».  

 

Avec difficulté, le statut de réfugié obtenu, il parvient à publier ses premiers romans dont la légende veut qu’il les ait présentés comme traduits du russe. En effet, Makine écrit en français et les éditeurs semblent avoir refusé de prendre ce moujik au sérieux. Lorsqu'on lui pose la question : pourquoi le choix du français? - il répond : « Pour ne pas être poursuivi par les ombres trop intimes de Tchekhov ou Tolstoï »? Le français serait donc choisi de façon arbitraire ? Et le russe délaissé du fait du poids de l’héritage littéraire ? En définitive, d’autres explications apparaissent plus satisfaisantes et révèlent le véritable culte que Makine voue à la langue française, un culte justifié par des critères de littérarité.    

 

En 1995, la gloire arrive enfin pour lui, grâce à la parution au Mercure de France ( Simone Gallimard se serait dite séduite ) du "Testament français". Evènement rarissime dans le milieu littéraire, le livre obtient deux récompenses prestigieuses : le Médicis et le Goncourt, auxquels s’ajoute le Goncourt des lycéens. Fait rare également, les jurés du Médicis choisissent de ne pas départager le russe Andreï Makine et le grec Vassili Alexakis, ce qui est significatif du dialogue qui spontanément s'intronise entre les divers pays sur le plan culturel. 

   

Après cette consécration, Makine, dont on ne sait plus trop s’il faut le considérer comme un écrivain russe d’expression française (selon François Nourrissier) ou comme un écrivain français d’origine russe (il a obtenu la nationalité française un an après le sacre du Goncourt) a acquis une place incontestable dans le milieu littéraire : il a publié de nouveaux romans, a reçu de nouveaux prix littéraires et est traduit en plus de trente langues. Aujourd'hui il entre à l'Académie française, dont il sera le membre le plus jeune, consécration d'un parcours exigeant et sans concession.

 

Afin de compléter cet article, prenez connaissance de celui-ci : L'art d'écrire selon Andreï Makine

 

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13 février 2016 6 13 /02 /février /2016 08:34
L'ombre improbable

 

Descendons un peu plus bas
dans le silence qui touche aux origines.
La vérité est au-delà de la frontière des ombres.
Ni ombre, ni lumière vraiment,
mais une sorte de paix, une eau dormante
épargnée par le temps.
Suis-je encore vivante ? Je ne sais,
tant je vis ton absence
comme une terrible éternité.
Un jour, je fus ravie hors de ma propre conscience.
Je ne souffrais plus du simple poids des choses.
J’étais au seuil d’un autre monde
et me dévêtais de mon linceul d’humanité.
Que mon pas était léger !
Tout, dans le sens nécessaire, allait immuable
et je te cherchais en un pays de collines et de frangipaniers.
Quel écho me rendra ton appel et ta voix ?
Est-ce en mon âme que tu t’es égaré,
en ma mémoire que tu chemines fidèlement ?

 

Cette nuit, le jardin s’est refermé sur mon chagrin.
Bien que nous soyons en été,
mon cœur, de son hiver, est resté le prisonnier.
Combien de jours, de semaines, sans ton amour ?
Dans ce parc, tu m’as avoué
qu’il te plaisait de méditer,
aussi est-ce ton ombre improbable
que je suis venue guetter.
Tout à l’heure, il faisait clair,
il y avait là des enfants, des fleurs,
des bosquets, des marchands.
Me serais-je endormie ?
Sur quel aveu à te dire,
sur quelle peine à te confier ?

Pousse lentement la porte du jardin,
que ton pas s’inscrive,
oui, ton pas sans le mien,
sur la terre humide encore de la nuit,
arrête-toi, je te rejoins.
Quelle attente, quel souvenir lointain, un instant te retient ?
Mon absent, dans l’ombre révélatrice, reviens-moi, je t’en prie.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  ( extraits de « Profil de la Nuit » )

 

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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 08:29
Le peintre d'éventail de Hubert Haddad

 

 

Hubert Haddad, que j’ai connu à Trouville dans les années 1993 – 1994, est un de ces rares auteurs qui m’assurent que la littérature est toujours bien vivante, que la beauté du style, la splendeur des phrases peuvent jaillir et s’épandre comme des sources inaltérées et que des grands auteurs, discrets mais initiés à l’un des arts les plus difficiles qui soit, sont là encore pour nous émerveiller. C’est le cas de ce livre époustouflant de beauté, écrit d’une plume aérienne qui raconte une histoire dure comme la roche mais profonde comme le puits le plus profond dont chaque mot se dessine comme un haïku.

 

Matabei  Reien est un homme qui a fui Tokyo, après un accident de voiture où il a causé la mort d’une jeune fille. Il s’est alors retiré dans un endroit perdu entre  montagnes et océan Pacifique. Il est accueilli dans une pension de la vallée d’Atôra, tenue par une ancienne courtisane, Dame Hison, qui héberge des personnes souvent étranges  et un jardinier qui peint des éventails à ses heures perdues. Il se nomme  Osaki Tanako et devant la beauté de ses « éventails de papier et de soie aux trois couleurs d’encre », Matabei, subjugué, lui demande de devenir son disciple.

«  Chaque éventail ouvert était tout à la fois une page du secret et un coup de vent dans les bonheurs du jardin. »

 

 Lorsque meurt le maître, Reien hérite de son atelier, des éventails achevés  et des inachevés qu’il va s’appliquer de terminer en essayant  de poursuivre et de comprendre le travail de l’artiste.

«  Créer des paysages, poursuivit Matabei, c’est assimiler la loi d’asymétrie et le juste équilibre comme un art de vivre. Les chemins de rosée, les sentiers sous les arbres et les passes de gué avec tous ces riens échelonnés, cette pierre, l’eau vive d’une rigole, cette branche basse, voilà le parcours intérieur. (… ) L’imperfection ouvre à la perfection. »

 

Les éventails peints et montés d’Osaki proposaient chacun tel ou tel point de vue forcément incomplet du jardin qu’il avait créé autour de la pension de Dame Hison avec un soin minutieux et une connaissance de chaque plante, et qu’il reproduisait sur les éventails avec tel détail de composition ou aperçu d’ensemble, au gré des saisons.  Il devait s’agir pour le vieux sage d’une  « création simultanée et indissociable ». Les lavis et l’arrangement paysager allaient de pair, comme l’esprit va à l’esprit, les uns préservant les secrets de l’autre, en double moitié d’un rêve d’excellence dont il aurait été le concepteur initié.

« Les trois pinceaux de bambou, par exemple, nous en ferons usage des années encore en espérant savoir peindre un jour les jeux du vent dans la forêt de bambous… »

 

Un art qui attire bientôt un nouveau jeune : Xu Hi-han,  embauché à la pension comme… gratte-sauce par Dame Hison. Il se lie alors d’amitié avec Reien mais quittera bientôt  la pension pour l’université où il fera de brillantes études, parce que – dit-il à Matabei – « ici les femmes sont trop belles. »  La femme trop belle n’est autre que Enjo dont les deux  hommes sont  épris et que Matabei appelle sa « princesse de la lune ». Quelque temps plus tard, alors qu’Osaki est mort, le séisme de Kobe le 17 janvier 1995 met la région dans un état de grande difficulté et dépendance.

«  Au moment où il se rétablit sur sa longue canne après un début de vertige, la terre se mit à trembler. D’abord imperceptiblement, comme il arrive bien des fois, puis de manière ascendante. Le poisson monstrueux des légendes passait et repassait sous ses pieds en battant des flancs et de la queue. Sinistre, caverneux, un grondement monta de toutes parts. Associé aux secousses continues, aux à-coups qui ébranlaient la montagne, on eût dit l’effondrement d’une ville souterraine ou quelque avalanche cyclonique par tous les gouffres de la terre. »

 

Seize années plus tard, le 13 avril  2011, le Japon est de nouveau éprouvé par le tsunami qui détruira l’auberge et  les alentours, tuant les habitants de la pension que Matabei se chargera d’enterrer, à l’exception de la belle Enjo qu’il ne retrouve nulle part dans les décombres. «  A quelle fin les signes du monde coïncidaient-ils ? »

«  C’était d’identiques tourments chaque nuit. Et toujours, à l’heure du hibou, il allait errer dans la ténèbre hantée des forêts, titubant, pour échapper à cette folie. Les grands arbres frissonnants apaisaient un moment sa fièvre. »

 

Je laisse au lecteur le soin de découvrir la fin de ce récit, rédigé en une paisible ordonnance, riche en métaphores malgré la dureté des événements et écrit par touches successives, celles d’un poète qui assemble les mots avec une grâce évanescente et une transparence de cristal, séduit et enchante malgré la mélancolie de ce récit initiatique qui fait de la douleur une sorte de songe onirique, une étape vers la quintessence de toute chose ; de la mémoire, un tremplin pour sauver la pensée ; du dessin, « la ramure mouvante d’un saule » ; du texte,  « un chemin de rosée, un rêve de jardin » qui ne cesse de renaître grâce à la ferveur de la terre, aux pluies du ciel et à l'inaltérable imagination des hommes.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 


Hubert Haddad est un écrivain de langue française né en mars 1947, poète, romancier, historien d’art et essayiste français d'origine tunisienne.
Il a passé son enfance à Paris. Après des études de lettres, il publie dès vingt ans son premier recueil de poèmes. Il fonde ensuite "Le point d'être", revue littéraire, et par ce biais publie des inédits d'Antonin Artaud.
Depuis "Un rêve de glace", son premier roman, jusqu'aux interventions borgésiennes de l'"Univers", étonnant roman-dictionnaire, ou "Palestine", fiction hantée par le conflit du Proche Orient (Prix des cinq continents de la Francophonie 2008), Hubert Haddad nous implique magnifiquement dans son engagement intellectuel, de poète et d'écrivain.
Prix Renaudot Poche 2009 pour "Palestine".
Sous le pseudonyme de Hugo Horst, il anime depuis 1983 la collection de poésie "Double Hache" aux éditions Bernard Dumerchez. Il publie aussi des romans noirs, avec un personnage récurrent, l'inspecteur Luce Schlomo (Tango chinois).
Hubert Haddad fait partie du Groupe « Quando » et de la Nouvelle fiction.




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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 10:12
L'ombre du silence

 

 

Si les jours deviennent lourds à porter

Que rien n’apparaît pour nous émerveiller

Le songe nous prendra dans sa flamme

Et la réalité s’effacera peu à peu.

J’ai entendu frapper, est-ce toi ?

Dans le murmure du songe

Est-ce nous si jeunes encore ?

Nous savions nous parler dans les salles oubliées

Où l’ombre du silence

Dessinait en hâte nos silhouettes.

Nous savions les mots qui consolent et apaisent

Et éclairent les chambres

De leurs lueurs hantées.

Oui, nous connaissions les formules

Qui libèrent les cœurs,

Affirment les esprits.

Tout mouvement de l’âme

Aimante la lumière

Et tisse la vérité de  fils invisibles.

 

 

Reconnais-moi

D’entre toutes et tous

Le souvenir s’émeut d’une voix

Qui évoque le passé,

dessine le présent avec des mots d’amour.

N’oublie pas le jour

Où se sont croisés nos regards et nos attentes

Et nos peines si longues à consoler.

L’avenir fleurait le parfum des ancolies,

Epousait les courbes du bel azur,

Nos corps se nouaient alors

Comme le ciel et la mer

Et l’ardeur fixait les heures

Sur l’horloge du temps.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE  ( inédit - Octobre 2015 )
 

 

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12 septembre 2015 6 12 /09 /septembre /2015 08:09

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L'amour hantait nos jours et les accomplissait
Et l'ardeur ne cessait d'environner nos coeurs
Ce fut un bel été, grisant plein de douceur,
Dans l'ivresse partagée de nos corps vivants.
 
 
Mais la lune, déjà, s'écaillait dans les branches
Et la nuit désolait nos trop vives attentes
Tant proche est le sommeil qui décolore les rêves
Et fatale la douleur de notre esseulement.
 
 
Jamais plus une chambre ne nous accueillera
Errance, tu es au loin la flamme qui se fait cendre,
Nulle aube ne verra le temps recomposer
Cette image tremblante et comme découronnée.
 
 
La lune, l'autre soir, était à la fenêtre
Aussi ronde, aussi pleine qu'en cet été normand
Où, tous deux enlacés, nous regardions le ciel
Décliner nos destins de funeste façon.
 
 
 
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( Extraits de "Poèmes à l'absent" - PROFIL DE LA NUIT)

 

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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 09:46
Baronne Blixen de Dominique de Saint Pern

 

 

Dominique de Saint Pern, journaliste et auteur de « L’extravagante Dorothy Parker » et de « Les amants du soleil noir », aime à l’évidence les personnalités en rupture de ban avec la société et il est vrai que Karen Blixen a mené une existence singulière, partagée entre l’Afrique où elle jouissait d’une liberté, qui entendait se libérer de tous les codes, et le Danemark où elle devint, dans la seconde moitié de son existence, une femme de lettres reconnue et redoutée, manquant de peu le prix Nobel. Avec cette biographie romancée, Dominique de Saint Pern nous retrace un destin vécu à coups de sabre, constamment contrarié dans son tracé et subi dans un incontestable inconfort de santé, puisque peu de temps après son mariage avec le baron Bror Blixen, Karen devait hériter de la syphilis, mal qu’elle trainera sa vie durant et contre lequel elle luttera avec l’incroyable énergie qui la caractérisait. « Vous ne pensez pas que je vais me plaindre ! » - assurait-elle. Et elle ne se plaignit pas malgré les douleurs, les opérations, les traitements de cheval dont elle fut accablée au fil des années, sa maladie se rappelant à elle sans relâche et jusqu’à son dernier souffle.

 

Qui était Karen Blixen, cette aristocrate danoise qui semblait être née pour une vie  convenue dans un milieu privilégié et une suite de belles demeures et de mondanités, milieu figé dans les exquises manières du passé et les rites des riches oisifs, et ne cessera néanmoins, et contre toute attente, d’être une aventurière au propre et au figuré, menant deux existences assez distinctes l’une de l’autre : la première au cœur de l’Afrique auprès des Kikuyus et l’autre dans sa résidence maritime de Rungstedlund où elle devint, lors de cette seconde partie de sa vie, un écrivain démiurge, mondialement célébré et lu ?

 

En effet, la baronne et son époux, qui lui avait donné son titre en même temps que la syphilis, avaient acheté une ferme près de Nairobi, au Kenya, avec l’argent de la famille de Karen, les Westenholz, ces vieilles corneilles selon elle. Ils s’y installèrent dans un environnement grandiose afin d’y cultiver le café. L’aristocratie anglaise y avait déjà ses habitudes et une gentry élégante se recevait dans des domaines où le champagne et les vins fins coulaient à flot et où les hommes se plaisaient à afficher leurs conquêtes et leurs trophées de chasse.

 

Dès les premières pages, nous sommes à Mbogani, au pied du Ngong, là où sera enterré Denys Finch Hatton, l’homme des safaris, la meilleure gâchette d’Afrique ; oui, nous sommes dans cette ferme africaine dont «  l’élégante véranda court le long de la façade offerte au levant ». Car Dominique de Saint Pern débute son roman au moment du tournage de « Out of Africa » et auprès de Meryl Streep chargée d’interpréter le personnage de cette romancière et conteuse qui sut envoûter successivement les Kikuyus et ses lecteurs. Karen était une magicienne, assez proche de l’héroïne des « Mille et une Nuits », conteuse hors pair qui ensorcelait ses auditeurs et ne cessa jamais d’être complexe, frivole et extravagante. Elle fut également une chasseresse au cuir endurci par les épreuves, ne se dérobant jamais face à l’obstacle et osant même braver les lions. Karen, divorcée de Bror, ce mari insouciant et futile qui se plaisait davantage dans les pubs et le lit des femmes qu’à gérer sa plantation de café, aimait alors Denys Finch Hatton, cocktail explosif d’érudition raffinée et d’instinct sauvage parfaitement aiguisé, qui lui faisait écouter Mozart, Haendel et Stravinsky sur son gramophone et portait aux nues sa liberté de fouler les terres sauvages et de voler à bord de son biplan jaune citron où il improvisait des loopings qui paniquaient Karen au début de leur liaison. Denys, qui n’acceptait aucune attaches, quelles qu’elles soient, n’épousait pas, disparaissait plusieurs mois d’affilé et trouvera la mort à bord de son avion peu de temps avant que Karen, ruinée par sa plantation, ne regagne le Danemark, abandonnant ses chers Kikuyus et un pays qui l’avait marquée d’une empreinte indélébile. Cette première partie du livre est fascinante et évoquée dans un style lyrique qu'illustrent des descriptions d’une réelle poésie ; on y devine une Karen heureuse, amoureuse, dans un cadre qu’elle a agencé avec goût, autant celui des fleurs et des parterres à l’anglaise que celui d’un intérieur cosy et raffiné où les Kikuyus la servaient en gants blancs dans des services  et cristallerie précieux, tout droit venus de Londres ou de  Copenhague. Ce sera donc le départ déchirant, l’adieu à l’Afrique, l’adieu à chacun de ses domestiques, à ses squatters et au fidèle Farah, le train qui s’ébranle depuis Mombassa, l’arrivée à Rungstedlung, et son retour, comme elle le souligne elle-même, à la taille enfant.

 

Karen jeune et sa ferme au Kenya, devenue un musée.
Karen jeune et sa ferme au Kenya, devenue un musée.
Karen jeune et sa ferme au Kenya, devenue un musée.
Karen jeune et sa ferme au Kenya, devenue un musée.
Karen jeune et sa ferme au Kenya, devenue un musée.

Karen jeune et sa ferme au Kenya, devenue un musée.

La seconde partie est un peu moins exaltante, bien que Karen s’apprête à devenir un écrivain de première grandeur. En entrant en écriture à l’âge de 50 ans, elle se transforme en Isak Dinesen et ouvre une page nouvelle de sa vie derrière un masque. Elle n’est plus la même femme, en effet, mais la baronne qui se bâtit une tour d’ivoire contre la douleur des relations humaines. Avant d’être éditée, elle va devoir subir pas mal d’humiliations et deviendra, à la suite de ces nouveaux échecs, une lionne rugissante. Son premier ouvrage « Les sept contes gothiques », sept merveilles chantournées avec sensualité, vont très vite connaitre un succès fou Outre-Atlantique et lui valoir une cour d’adorateurs. Dans sa propriété de Rungstedlund, elle mène une vie simple au côté de sa mère exigeante et tyrannique et se sent à l’étroit. « Les contes d’hiver » sortent puis « Une ferme africaine » en 1937 qu’elle rédige dans un hôtel, à l’extrême nord du Jutland, afin d’évoquer dans la solitude ce chant du cygne du monde indigène. Le succès de ce nouveau livre, publié en Amérique comme les précédents, et dans les deux langues anglaise et danoise, sera foudroyant et bientôt suivi du même succès en Grande-Bretagne. Puis, sa mère meurt, la guerre se déclare et l’oblige à vivre en autarcie dans sa demeure, transformée en ferme, afin de subvenir aux restrictions. En 1943, une certaine Clara Svendsen se propose de devenir sa traductrice en langue française et sera auprès d’elle une compagne dévouée et soumise à ses innombrables caprices et exigences, comme tous ceux qui l’approcheront sous son masque d'Isak Dinesen.

 

A Rungstedlund, cela devient une foire aux vanités, chacun plus ou moins satisfait de son reflet dans le miroir que la baronne, manipulatrice en diable, leur tend avec malice ou bienveillance. Bientôt se présente un poète Thorkild Bjornvig, de trente ans son cadet, avec lequel elle aura une sorte de liaison spirituelle, instaurant un pacte qui fera de lui sa créature. Il vivra chez elle longtemps, quittant femme et enfant, pour subir, de la part de cette habile magicienne, un envoûtement accompli dans les règles de l’art. De plus en plus malade et dénutrie, elle pèse 31 kilos, Isak Dinesen se rend néanmoins à New-York en 1959, invitée d’honneur de l’Académie des arts et des lettres, où elle parlera pendant plusieurs heures, suscitant un engouement invraisemblable et une standing ovation avec ses récits sur l’Afrique, puis se faisant photographier auprès de Marilyn Monroe et de son mari Arthur Miller. Mais la fin approche. Isak Dinesen, doublée de Karen Blixen,  fait ses adieux à ce qu’elle a aimé, la nature, les oiseaux, les lumières d’automne. Elle a encore rédigé « Les derniers contes » face à ses arbres triplement centenaires et créé sa fondation dans sa demeure de Rungstedlund, reposant désormais dans le parc, où elle s'est si souvent promenée, auprès de son chien Pasop.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Baronne Blixen de Dominique de Saint Pern
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3 avril 2015 5 03 /04 /avril /2015 08:42
Les promesses de demain de Edmée de Xhavée

A n’en pas douter, Edmée de Xhavée a la plume d’une nouvelliste. Ce second ouvrage de nouvelles « Les promesses de demain » *, après « Lovebirds », est là pour le confirmer. Personnellement, j’ai pris goût à ces récits courts et concis où l’auteure nous brosse, d’un trait vif, des histoires où entrent tour à tour les parfums de l’été, le froid d’un vent coulis, les maisons au charme désuet, les amours brisés ou impossibles, les sourires et les larmes, en quelque sorte des lieux et des personnages saisis en un moment de vie, un instantané où tout est dit d’un bonheur, d’un malheur, d’une attente, d’un compromis, d’un irrémédiable naufrage.

 

 

Cet art est proche de celui de l’aquarelle pour le peintre. Il y faut une plume légère, des couleurs ni trop appuyées, ni trop criardes, un tracé fin et délié, des teintes qui s’estompent et surtout un non-dit qui est le savoir-faire suprême de l’éloquence feutrée. Ainsi, les récits prennent-ils la saveur de ce qui, en peu de mots, vous a convaincu de l’essentiel, est allé au but sans tergiverser. Ici, l’amour ou le non amour est le fil d’Ariane que l’on suit face à un horizon, un univers que l’écrivain, qui se tient à l’écart, vous dévoile depuis ce simple trou de serrure. C’est cela la nouvelle, une suite de tableaux intimistes, murmurés, sans fièvre inutile, sans détails superflus, qui cerne les actions au plus près, où, d’emblée, vous êtes de plein pied dans l’histoire, le drame, la séparation, une existence qui coule comme une larme, s’allume comme un feu, éclate comme un rire.

 

 

On y rencontre des gens de tous les jours, en lumière ou en ombre, en joie ou en peine, en colère ou en manque, l’amour s’y meurt ou s’y consume, s’y cogne ou s’y cache, et les mots, qui le relatent, sont sans emphase, simples et journaliers ; la mort rode également, fuite en avant de celui ou celle que l’attente a usé, la malchance rompu, l’injustice révolté. « Sa robe flotte sur la surface alors qu’elle s’avance, immaculée, et jeune, et immortelle, et amoureuse, et libérée au-devant de lui, lui qui incline vers elle son sourire ourlé et son regard qui l’avale toute entière. Elle lui tend la main et, confiante, le suit jusqu’où elle peut marcher, et puis se met à nager, pour s’abandonner à lui qui la saisit à bras-le-corps. Enfin ! dit-elle. » Ainsi finit une nouvelle particulièrement belle et poétique.

 

 

Et ces héroïnes, car elles sont plus nombreuses que les héros, ont noms : Henriette, Agnès, Nicole, Magali, Asie, Marguerite, mais également elle, lui, unis dans une poésie qui les enveloppe comme le suaire d’un amour sublimé. Il y a encore Thérèse-Adèle, la délicieuse tante Madeleine,  Léonie, Isotta, beaucoup de secrets de femme qui se tissent dans le silence, se voilent avec pudeur et fierté.

 

Au final, un bel ouvrage rédigé avec élégance par une écrivaine dont le sens du récit, cousu à petits points, est la panacée contre les duretés du temps et du monde, et dont la sensibilité, la connaissance des êtres, les subtilités du cœur jouent en elle comme en une caisse de résonnance dont elle nous fait partager l’écho.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

*Editions Chloé des Lys

 

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LOVEBIRDS

 

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 10:18
Je suis fou de toi - Le grand amour de Paul Valéry de Dominique Bona
Le 11, rue de l'Assomption et le château de Beduer
Le 11, rue de l'Assomption et le château de Beduer

Le 11, rue de l'Assomption et le château de Beduer

 

Ce livre en étonnera plus d’un parmi les admirateurs de Paul Valéry car l’ouvrage de la biographe/académicienne Dominique Bona sous le titre « Je suis fou de toi – Le grand amour de Paul Valéry » est l’histoire romanesque et douloureuse de l’amour impossible qui lia durant  5 ans  le philosophe/poète et une jeune femme de 32 ans sa cadette qu’il rencontra dans un salon et pour laquelle il éprouvera une passion dévorante et ravageuse, un amour fou dont il mourra, oui, vous avez bien lu…un amour brûlant qui consumera et son esprit et son corps. On sort de cette lecture avec des sentiments partagés : d’une part, on se désole qu’un si grand esprit se soit laissé embarquer dans une aventure avec une femme manipulatrice et aventurière et, d’autre part,  on se console en se disant qu’elle lui a inspiré des vers magnifiques et qu’elle a su ranimer la flamme de la poésie qui l’avait un peu quitté. Ainsi, cette femme, qui n’est guère sympathique,  aura-t-elle desservi l’homme mais servi l’art, alors ?

 

Quand Paul Valéry tombe sous son charme, il a déjà 67 ans et occupe dans la République des lettres une place enviable : académicien, professeur au collège de France, probable prix Nobel, écrivain lu et admiré par ses pairs comme le philosophe de la raison, homme éclairé s’il en est, il jouit de tous les prestiges. Aussi imagine-t-on mal ce bel esprit sombrant dans les eaux agitées d’une passion aveugle, alors qu’il est un homme vieillissant, un père de famille irréprochable et un travailleur acharné que l’on sollicite de toutes parts pour des conférences, des préfaces, des articles, des conseils. Un homme qui est une référence intellectuelle et morale. Et chose d’autant plus étonnante qu’à l’âge des premiers emballements amoureux, il s’était juré, après avoir été follement épris d’une femme plus âgée et mère de famille, Madame de Rovira, qu’on ne l’y prendrait plus et qu’il ne perdrait jamais plus la tête pour quelque enchanteresse que ce soit, qu’il s’en tiendrait dorénavant au rationnel et aux seuls pouvoirs de l’intelligence.

 

Bien qu’il ait  aimé à plusieurs reprises, entre autre la poétesse Catherine Pozzi, qui fut pour lui une partenaire intellectuelle de premier plan, mais une femme irascible et terriblement jalouse, il avait toujours conservé les distances nécessaires pour ne pas perturber son havre d’équilibre et de paix, sa famille « une serre de travail aussi favorable que possible » - disait-il, sur laquelle veillait son épouse Jeannie Gobillard, nièce de  Berthe Morisot et cousine germaine de Julie Manet/Rouart, excellente pianiste, qui lui assurait un foyer calme mais néanmoins joyeux autour de leurs trois enfants, équilibre qui lui était nécessaire et qu’il préservera malgré les tentations les plus érotiques. C’est cependant une certaine Jeanne Loviton qui fera sauter ce barrage affectif et démontrera que, hélas !, l’intelligence la plus rationnelle, les aspirations les plus sages, les sentiments les plus tendres peuvent céder lorsque la passion submerge les digues, rompt les amarres. Jeanne entre dans l’existence de Valéry en février 1938. Mais qui est cette jeune femme qui va lui inspirer un tel amour ? Une personne brillante sans nul doute, divorcée, libre, fière, mondaine, qui conduit sa vie avec brio, suscitant au passage bien des passions. Est-elle belle ? Pas vraiment : des yeux à fleur de tête, un long nez, des jambes lourdes mais de l’éclat, de l’entregent, des cheveux drus, un beau sourire, de l’élégance – elle s’habille chez les plus grands couturiers  - et une assurance rarement prise à défaut. Bien que née dans un milieu modeste, de père inconnu, elle a été adoptée à l’âge de dix ans par le mari de sa mère - une petite théâtreuse - qui lui donnera son nom, l’encouragera à faire de bonnes études et lui offrira un métier, des rentes et une belle maison, de même que les conditions nécessaires, après une enfance difficile, pour assumer sa vie avec panache. Et du panache, elle en a !

 

Mariée pendant 9 ans à un écrivain déjà traduit en quinze langues, Pierre Frondaie, auteur de « L’homme à l’hispano », « L’eau du Nil », « Deux fois vingt ans », la jeune avocate découvre en lui un noceur professionnel qui fréquente assidûment le milieu du théâtre, est acteur à ses heures et présente une personnalité à l’opposé de Paul Valéry – que Jeanne ne connait pas encore – épris de poésie pure, volontiers rêveur et mélancolique. Pierre Frondaie a, quant à lui, la séduction chatoyante et se plaît à vivre dans un luxe tapageur. Certes son allure, sa bonne santé, sa virilité en ont fait un auteur en vue, d’autant qu’il n’est pas dépourvu de talent, mais un époux difficile à garder que la jeune femme, exaspérée par ses infidélités, quittera afin de retrouver sa précieuse liberté et son autonomie, d’autant que ce mari volage a l’outrecuidance d’être ombrageux. Toutefois, gagnée par son influence, Jeanne écrira trois romans sous le pseudonyme de Jean Voilier «  Beauté raison majeure », «  Solange de bonne foi » et «  Jours de lumière » édités chez Emile Paul. « Jours de lumière », qu’elle rédige alors qu’elle commence à fréquenter Valéry, sera retenu pour le prix Fémina, grâce à l’influence de ce dernier,  mais sans succès, si bien que, déçue, Jeanne renoncera définitivement à l’écriture pour se consacrer exclusivement à sa tâche d’éditrice aux éditions Domat-Montchrestien, auprès de son père adoptif.

 

Ainsi est-elle libre lorsque le destin la met en présence du philosophe/poète et qu’elle le reçoit dans son ravissant hôtel particulier du 11, rue de l’Assomption. Celle qu’il appellera « Lust » soit désir en allemand, est devenue l’idéal, son idéal, sa déesse qu’il n’hésitera pas à comparer à Héra, l’épouse de Zeus, ce qui flatte évidemment le narcissisme de cette femme ambitieuse. Désormais le besoin qu’il a de la retrouver ne lui laisse plus de répit. Il a soif d’elle, faim d’elle, il est possédé, en état de vénération pour cette femme à l’intelligence pratique, dont la voix est agréable, qui s’assume seule, ne lui fait jamais de scène car elle-même est très occupée, et prend la vie avec optimisme et volupté.

 

Le dimanche devient le jour de « Jeanne ». Un rituel vite établi. Auprès de sa déesse, l’écrivain renoue avec sa vraie nature, légère, aérienne, se laissant aller à une fantaisie  qu’il bride si souvent face aux responsabilités d’un homme de lettres consacré. Jeanne achète alors le château de Béduer où elle recevra le Tout Paris, car cette mondaine aime à être entourée, adulée et a le goût du faste. Valéry ira la rejoindre à deux reprises mais souffre en silence de la savoir trop sollicitée. Entre leurs rencontres, il lui écrit d’innombrables lettres ( plus de mille ) et pas moins de 150 poèmes où les vers irradiés de ferveur font l’éloge de l’incomparable, de l’inspirante, en un chant d’amour total :

 

Puisse ton cœur, ce soir, silencieuse absente,

Te souffler de ces mots dont je t’ai dit plus d’un,

De ces mots dits si près qu’ils prenaient ton parfum

A même ta chair tiède et sur moi trop puissante.

 

En 1939, il lui avoue, célébrant leur communion de corps et d’âme :

 

L’heure de Toi, l’heure de Nous

Ah !... Te le dire à tes genoux,

Puis sur ta bouche tendre fondre

Prendre, joindre, geindre et frémir

Et te sentir toute répondre

Jusqu’au même point de gémir…

Quoi de plus fort, quoi de plus doux

L’heure de Toi, l’heure de Nous ?

  
Lui, qui s’était éloigné de la poésie revient à elle, inspiré par cette muse. Ce seront deux créations ambitieuses, tirées l’une de la mythologie, l’autre de la légende : un Narcisse, puis un Faust ! Et secrètement pour eux seuls les 150 poèmes qui seront vendus avec les 1000 lettres par Jeanne le 2 octobre 1982 à Monte-Carlo et dont le montant s’élèvera à un million et demi de francs, soit l’équivalent de 400.000 euros d’aujourd’hui, somptueux cadeau posthume, publiés de nos jours par les éditions de Fallois sous le titre « Corona & Coronilla. Poèmes à Jean Voilier ». Car Jeanne ne s’embarrasse pas de sentiment et de scrupule. Cette guerrière mène son existence au pas de charge, dans le luxe et les vanités du monde. Ses amants seront nombreux, qu’elle ménage avec habileté et diplomatie, afin qu’aucun d’eux ne sache qu’il n’est pas le seul. Elle éprouvera aussi un amour saphique pour Yvonne Dornès qui sera, tout au long de sa vie, l’amie parfaite et dévouée, Jeanne n’envisageant pas de vivre sans adulation, considérant que l’on se doit d'être à ses genoux comme l’ont été Valéry et son père adoptif Ferdinand Loviton. Giraudoux le sera lui aussi, Malaparte brièvement.

 

La guerre sépare Valéry et sa muse, puis la maladie. Chacun d’eux s’éloignant de Paris durant l’occupation, Valéry à Dinard puis au Mesnil dans la maison de Julie Manet et Jeanne dans son château de Béduer où elle poursuit sa vie brillante comme si de rien n’était. Valérie souffre mille douleurs et jalousies. Il ne sort plus guère, se languit d’elle : «  Tu es sourde à présent et insaisissable ». Le temps passe sans les rapprocher comme le philosophe/poète le souhaiterait. C’est alors que Jeanne lui apprend qu’elle va bientôt épouser l’éditeur Robert Denoël. Coup de grâce. Nous sommes en 1945, Valéry lui écrit encore : « Ma bien-aimée/ Ta bouche tendre/ Fit un poison/ De tout mon sang. »  Il mourra le 20 juillet de la même année…d’amour, dans les bras de sa fidèle épouse Jeannie, après avoir écrit ces derniers mots :

Je connais mon cœur aussi. Il triomphe. Plus fort que tout, que l’esprit, que l’organisme. Voilà le fait. Le plus obscur des faits. Plus fort que le vouloir vivre et le pouvoir comprendre est donc ce sacré C… »

 

Sur ordre du Général de Gaulle, il recevra de grandioses funérailles nationales dans le Paris livré à l’épuration, que Valéry déplorait en homme pacifique, soucieux d’unité. Jeanne fera envoyer une magnifique gerbe de glaïeuls de chez Lachaume et poursuivra une existence encombrée d’ombres. Alors que Valéry sera glorifié, admiré presque comme un saint laïque. Cela l’aurait amusé, lui qui notait pour Jeanne quelques mois avant de s’éteindre : «  Tu sais bien que rien au monde, rien de ce qu’il peut donner ne pesait à mes yeux ce que ta ferveur et ta tendresse m’étaient. Hélas ! »

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

Dominique Bona – Je suis fou de toi – Editions Grasset

 

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Deux soeurs

Berthe Morisot, le femme en noir 

Romain Gary

 

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14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 09:03
Stances à la bien-aimée

 

Maintenant que tu m’as quitté,
je vais te célébrer ô ma beauté,
mon épouse, ma bien- aimée,
de mon amer exil, je vais louer la grâce
dont je suis habité.
Mon chant sera mon effusion.
Par lui, j’accéderai à l’ultime langage
des anges et des étoiles
et toi, ma compagne, seras seule à comprendre
leurs mystiques fusions
et l'éther me rendra plus suave sa musique.
Voilà que devant moi l’horizon s’élargit,
que de multiples sphères déroulent leurs anneaux,
que l’espace se dévoile et s’ouvre et s’agrandit,
que j’entends murmurer de si étranges mots !
La poésie est devenue ma terre promise.
Elle fleurit sous mes pas.
Voyez les lys blancs et les jaunes narcisses
et voyez le feuillage de ce kaïcedrat !
Ma muse s’approche et me conduit,
vers quelle rémanence, vers quelle théophanie ?
D'elle s'exhale une douce,
une très douce odeur de pluie.
Et ce chemin qui va entre lilas et buis
où nous mènera-t-il ?
Vers quelle île de lumière, vers quel paradis ?
Mon chant a sur mes lèvres un goût de miel.

 


Je t’ai couchée ce soir dans ma mémoire
et ton sommeil oscille, douce lumière qui veille.
Tes paupières ont enclos l’infini sous leurs ailes,
je me délecte à la seule vue de ta beauté.
Sur ma vie, tu règnes plus faste qu’un été,
irradiant de fraîcheur une terre assoiffée.
Songeuse, tourne un peu ton visage.
Mais tu dors ? Oui, repose, qu’à tes pieds
je puisse, sans te faire de tort,
déposer mes présents de pure gratuité.
Quelle force tranquille a usé l'impatience
jusqu'à sa trame la plus intime,
qui a joint la tunique d'un seul fil-à-fil ?
Je ne connais plus la couleur de tes yeux,
ouvre-les un instant, un instant pour nous seuls,
que je m’y perde un peu et que je me souvienne.
Ton regard, rends-le moi, l’éternité y coule
lentement ses eaux bleues.
O ma femme, mon aimée,
pour un pacte d’amour qui n’a plus de durée,
je romps le cercle de servitude
où notre histoire s’enlise et où l’ingratitude
cueille les fleurs pauvres de l’infidélité.
Vers quelle source obscure en moi-même supposée
remonterai-je en vain ?
Quelque chose se déchire, se brise à tout jamais,
une écluse relève ses vannes de tristesse
et libère mon être d'un trop plein de pensée.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

(Le Chant de Malabata – extraits de STANCES )

 

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